-
Intro (incomplète)
- L'arrivée du Capitaine des pompiers à la scène VIII semble relancer l'action de la pièce. Pour animer la conversation, il propose de raconter des "anecdotes, provocant ainsi l'enthousiasme générale. Après un moment d'hésitation et prié par son entourage, le pompier se décide à raconter une anecdote divertissante. Cette première histoire sera suivie par une succession d'autres récits, pris en charge par le pompier mais aussi par M. Smith.
Mais ces fables, si elles reprennent les principales caractéristiques formelles du genre, frappent par leur étrangeté. Elles multiplient les incohérences et apparaissent comme autant d'énigmes.
En quoi la fable est ici le moteur d'un dialogue impossible et le symptôme d'une folie grandissante? Après avoir rappelé dans une première partie le cadre dans lequel s'inscrive ces fables, nous nous interrogerons sur la dégradation qu'elles font subir au modèle qu'elles imitent. Puis, dans une deuxième partie, nous mettrons en évidence les symptômes d'un langage en crise, révélateurs d'un monde violent et dénué de sens.
-
Problématiques possibles
- 1- Montrez qu'il s'agit dans cet extrait de parodies de fables.
- 2- En quel sens cette scène montre-t-elle l'aspect tragique du langage?
- 3- Montrer que la fable est le moteur d’un dialogue impossible et le symptôme d’une folie grandissante
-
THEMES
-
I. DES PARODIES DE FABLES
-
Reprise des codes de la fable (allusion aux fables de La Fontaine )
- "fable" , titres, animaux, récit (temps du récit) et dialogue, chute, évocation d'une morale ; "une fois" NB : "fable expérimentale" : peut être une référence aux membre de l'Oulipo qui déformaient les oeuvres classiques, comme Queneau ( La cimaise et la fraction )
-
Déformation et exagération
- Etrangeté des animaux : un renard avec une trompe qui se prend pour un éléphant ; un veau donne naissance à une vache (ligne10), un renard qui se brise en mille morceaux
Mélange de registres : du formel (ligne 13), de l'absurde ( ligne 26), du tragique (ligne 27) et du prosaïque violent (29) DONC Les animaux qui peuplent les fables racontées sont étranges : un chien avec une trompe qui se
prend pour un éléphant, un veau qui accouche d’une vache, un coq qui veut faire le chien et qui est tout
de suite découvert, un chien qui fait le coq et que l’on reconnaît pas, un serpent qui donne un coup de
poing, un renard qui se brise en mille morceaux en disant au serpent qu’il n’est pas sa fille. Le bestiaire
a un caractère fabuleux, qui tire plus vers le non-sens que vers le légendaire et le mythologique.
-
- Dans les deux premières fables, le non-sens tient à l’impossibilité des situations : un chien avec une
trompe, un coq qui fait le chien, un chien qui fait le coq. Dans la troisième fable, il tient aussi au récit
et aux enchaînements illogiques de causes à effets : un veau doit accoucher parce qu’il a mangé trop
de verre pilé, le veau ne peut être appelé « papa » parce qu’il est trop petit ce qui l’oblige à « se marier
avec une personne ». La quatrième fable pousse encore plus loin cette incohérence dans le récit, dans
les situations et dans les personnages. Si le non-sens apparaît très clairement, c’est que par ailleurs la
logique grammaticale est particulièrement présente : nombreuses articulations logiques, parodie de
syllogisme à propos du chien.
-
Des fables inquiétantes
- Au lieu de purement nous divertir, de susciter l'évasion, ces fables, en produisant des situations impossibles, coïncées dans la structure figée des contes, nous troublent.
La fable 2 est considérée comme une histoire vraie : "Ca c'est passé pas loin de chez nous"
Dans les fables 1 et 2, le non-sens repose sur l'impossibilité des situations ; la seule logique est syntaxique ( les règles de grammaire sont respectées) : les histoires reposent sur des énumérations mais le sens éclate .
Chacune de ces histoires pose la question de l'identité : fable 1 : se prendre pour quelqu'un d'autre, fable 2 : question de la parenté, 3 : se faire passer pour ce qu'on n'est pas
- Dans chacune des fables, la question de l’identité se pose.
- Dans la première, il s’agit d’une méprise,
un chien croit qu’il est un éléphant et oublie d’avaler sa trompe, ce qui l’empêche d’être ce qu’il est
vraiment (un chien). Dans la deuxième fable, la question de l’identité est liée à celle de la filiation et
de la parenté : le schéma logique est doublement inversé puisque non seulement un enfant (le veau)
donne naissance à sa mère (la vache), mais en outre un garçon accouche. Dans la troisième fable, il
s’agit de se faire passer pour que ce que l’on n’est pas. Dans la dernière fable, le renard en expirant
sous les coups du serpent lui dit qu’il n’est pas sa fille. Alors que la fable joue traditionnellement
d’une typologie de caractères très claire (le renard est rusé, le loup est méchant, l’agneau innocent…),
Ionesco fait du genre le lieu d’une indétermination identitaire systématique : rien n’est ce qu’il semble
être, confusion des corps, confusion des sexes, confusion des liens de parenté.
- Alors que la fable permet normalement de traiter de problèmes politiques et moraux de façon
métaphorique, mais claire, les récits proposés par le Capitaine des pompiers et par M. Smith n’offrent
aucune grille d’interprétation de ce genre. Ils ne proposent pas davantage de morale qui permettrait
de guider la lecture. On croit reconnaître le genre de la fable, mais en fait, il s’agit d’un genre hybride,
indéfini, comme le prouvent les réactions de l’assistance à la fable du veau : l’atemporalité universelle
caractéristique du genre laisse la place à l’actualité de l’anecdote, la fable devient fait divers lu dans
les journaux. Ces récits s’apparentent davantage à un délire imaginatif révélant un monde de fantasmes
inconscients liés à l’enfance : dévoration et évacuation (avaler sa trompe, manger du verre pilé,
accoucher, les tripes), violence, quête d’identité et relation aux parents, sexualité (la trompe).
-
II. LA TRAGEDIE DU LANGAGE
-
Fonctionnement mécanique du langage
- Il ne renvoie plus à une réalité connue, donc plus de sens; certaines répliques n'ont d'autres justification que d'être des calembours (les tripes) ; l'exemple le plus frappant est celle du serpent et du renard car au moment où l'histoire pourrait prendre sens, surgit une inconguïté qui détruit tout : "...sauta dans une vallée profonde pleine de fraisier et de miel de poule" ; autre exemple : quand Mme Martin demande la morale de la fable 1, elle pose la question du sens, or les personnages ne tirent justement pas de leçon de cette histoire. Suite de la scène : dislocation totale du langage (histoire du « rhume », des rubans) – plus personne ne s'écoute, enchaînement de répliques courtes, mêlées de souvenirs
-
Communication réduite à l'anecdotique
- Cette scène est un modèle dégradé de la conversation mondaine qui montrer en réalité la vacuité du langage, on ne sait pas quoi se dire à part raconter des histoires toutes faites (avides, ils les ont déjà lues) pour se désennuyer, même entre amis. On raconte des histoires pour avoir l'impression de vivre mais au final, elles ne font qu'accentuer le vide de l'existence. Pour rappel, au début de la scène 7, la conversation avait du mal à démarer au point de donner lieu à cet échange savoureux : " M. Martin : Vous avez du chagrin? / Mme Smith : Non. Il s'emmerde. " Puis on a supplié le Ponpier de raconter une histoire.
Didascalies : les personnages ont des réactions exagérées quand ils manifestent leur joie ou leur colère ( exhibition des artifices théâtraux)
-
Violence sous-jacente du jeu social
- Le jeu des didascalies (ex : embarras du Capitaine), de la mise en scène ( augmentation du volume sonore et accélération du rythme) ; course à l'anecdote : jalousie et rivalités ( pour impressionner Mme Martin? ) qui vont monter en puissance.
Conclusion : Avec cette scène, la parole apparaît clairement comme l'enjeu premier de l'action dans La Cantatrice chauve. Les personnages s'appuient sur une forme -la fable, qui leur permet de produire du discours et de lutter contre le silence, mais la parole ainsi créée se caractérise avant tout par le non-sens. Le langage semble échapper de plus en plus au contrôle des personnages.
- DONC :
- On retrouve dans ces fables certaines des caractéristiques formelles et stylistiques propres au
genre comme, par exemple, l’usage de l’article indéfini lié à l’indétermination des protagonistes, qui
renvoie à une volonté d’atemporalité, ou l’emploi de « une fois » qui renvoie à un hors-temps mythique.
Mais ce cadre reconnaissable ne fait que mettre en évidence le malaise verbal qui s’y révèle : la
perturbation entre signifiant et signifié, les mots ne renvoyant plus à une réalité connue. La structure
générique et langagière choisie tourne à vide car elle ne peut plus délivrer de sens.
- On raconte des fables pour ne pas être tué par le silence et pour avoir l’impression de continuer à
vivre. Mais ces fables, bien loin de combler ce vide par du sens, ne font que l’accentuer. Elles apparaissent
en effet comme des reproductions d’une structure langagière qui a perdu son sens (la fable
comme transposition et métaphore au service d’une morale ou d’un discours sur le monde et l’humanité).
Elles ne font que révéler un inconscient violent hanté par les questions d’identité et s’apparentent
à une sorte de délire verbal, qui annonce déjà la déconstruction finale.
- Le Pompier puis M. Smith se donnent en spectacle : ils annoncent leur fable, la racontent et attendent
les réactions de leur public. Le spectacle ainsi proposé met en scène le vide de la conversation et
des relations humaines. La comédie donne à voir la tragédie du langage.
-
.........
-
modèle dégradé de la conversation mondaine
- C’est pour se désennuyer que les personnages se mettent à raconter des fables sous l’impulsion
du Capitaine. On prend la parole non seulement pour animer la soirée, mais aussi pour se mettre en
valeur. Le Capitaine a le trac, joue la gêne, puis semble ne plus pouvoir s’arrêter, M. Smith se lance à
son tour. Les deux hommes entrent en compétition, sans doute pour plaire à Mme Smith.
- Ionesco profite de cet épisode pour créer des rapprochements et des tensions entre les personnages,
qui se caractérisent par leur manque de constance. Ainsi on peut penser que les premières
réactions négatives de Mme Smith (« Une autre. », l. 767 ; « Elle était dans tous les journaux », l.
778) poussent le Capitaine des pompiers à poursuivre pour tenter de la séduire. Mme Smith rebondit
d’ailleurs sur la fable suivante en la prolongeant, ce qui pousse M. Smith à se lancer à son tour
et à raconter une fable qui n’enthousiasme pas le public féminin, mais lui vaut les félicitations de
M. Martin : les femmes semblent plus sensibles au charme du Pompier tandis que les deux maris se
soutiennent. Ionesco joue des clichés, comme la traditionnelle opposition hommes/femmes. On se
vexe, on rivalise, on s’applaudit, on s’embrasse, on se traîne aux pieds de quelqu’un : autant de réactions
aberrantes qui s’appuient sur des ficelles psychologiques et théâtrales grossières.
-
Synthese
-
Questions Oral
-
comment définir le non sens et son rapport avec le comique
- Le non-sens consiste à mettre à mal la logique. C’est l’absurdité de la situation ou du discours,
jamais dénoncée mais traitée de façon sérieuse (comme si tout était normal), qui fait naître le
rire. Le non-sens apparaît aussi bien dans le comique de mots que dans le comique de situation.
-
Comment définissez-vous le surréalisme
- Les surréalistes ont fondé une grande partie de leurs expériences d’écriture sur l’abandon
du sens : laisser l’inconscient guider l’écriture, par des jeux d’associations d’idées, de sons, d’images.
Les fables de La Cantatrice chauve s’intégreraient parfaitement aux jeux surréalistes (cours à la rentrée)